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ENTRAINS-SUR-NOHAIN/

INTARANUM

Situation géographique et historique

Aujourd’hui situé au nord du département de la Nièvre, en Bourgogne, à mi-distance entre les sous-préfectures de Clamecy et de Cosne-Cours-sur-Loire, le village d’Entrains-sur-Nohain (750 habitants) était durant l’époque romaine (Ier-IVe siècles) une florissante agglomération d’environ 80 ha (nécropoles non comprises). Elle se situait alors aux confins nord-occidentaux du territoire éduen, dont le chef-lieu était Autun/Augustodunum. Implantée sur un léger promontoire d’une altitude de 225 m dominant la confluence du Nohain et du Trélon, Intaranum, nom antique d’Entrains, occupe un emplacement privilégié. 

 

L’agglomération marque en effet le carrefour de plusieurs voies reliant les principales villes de l’époque et notamment les capitales de cités voisines : Bourges/Avaricum vers l’ouest, Orléans/Cenabum vers le nord-ouest, Auxerre/Autessiodurum vers le nord-est, Sens/Agendicum vers le nord et enfin Autun/Augustodunum vers le sud-est. Plusieurs agglomérations de dimension plus ou moins importante et inégalement connues par l’archéologie se retrouvent le long de ces différents axes, gravitant dans un rayon d’environ 30 km autour d’Entrains-sur-Nohain : Ouanne/Odouna au nord-est, Chevroches à l’est, Menou et Champallement/Compierre au sud-est, Mesves/Massava au sud-ouest ou encore Cosne/Condate à l’ouest.

              

Le nom de la localité nous est connu grâce à la découverte, à Autun, en 1840, d’un fragment d’une plaque de marbre servant d’itinéraire. Celle-ci indique à trois reprises le nom d’Entrains sous la forme INTARANUM. Cette découverte montre une fois de plus l’importance de l’agglomération sur le territoire des Eduens.

Des découvertes anciennes

La nature de l’occupation et l’étendue de l’agglomération d’Intaranum sont appréhendées grâce aux nombreuses découvertes anciennes depuis le XVIIIe siècle ainsi que par la succession des chantiers de fouilles archéologiques depuis 1966.

Au fil des travaux de construction et d’aménagement de la ville au cours du XIXe siècle, un véritable esprit de recherche et de découverte se constitue à Entrains. Cette époque est notamment marquée par les figures des curés d’Entrains tels l’abbé Vée (1824-1858), l’abbé Chaventon (1861-1876) ou surtout l’abbé Baudiau (1876-1880) qui relaient à l’abbé Crosnier, président de la Société Nivernaise des Lettres, Sciences et Arts, les multiples découvertes ayant lieu sur la commune. Parmi les principales découvertes se trouve notamment une statue colossale d’Apollon de 2,65 m mise au jour en 1875 lors de travaux sur la clôture du petit cimetière de la famille d’Hunolstein accolé au cimetière communal. Elle a été donnée à l’époque au Musée d’Archéologie Nationale (M.A.N.) de Saint-Germain-en-Laye où elle est exposée. A La Tuilerie, c’est une stèle funéraire indiquant le nom d’Apinosus qui fut découverte en 1895. Également conservée au Musée d’Archéologie Nationale, elle témoigne d’une nécropole gallo-romaine à cet endroit. A ces diverses découvertes, il est possible d’ajouter, entres autres, celles d’un pichet en argent représentant des scènes dionysiaques (aujourd’hui conservé à la Walters Art Gallery de Baltimore aux Etats-Unis), deux inscriptions à Epona dans l’ancien étang Saint-Cyr en 1896 (dont une conservée au Musée d’Auxerre), plusieurs trésors monétaires ou encore de multiples sculptures en ronde bosse (dont certaines sont conservées aux Musées de Clamecy, Varzy, Nevers, La Charité-sur-Loire, Autun…), etc. Peu à peu ces nombreuses découvertes fortuites montrent la richesse du sous-sol antique de la ville. C’est à partir de celles-ci que les érudits locaux vont commencer à appuyer leurs différentes hypothèses quant à la vie et à la parure de l’agglomération gallo-romaine.

En parallèle, de nombreuses collections particulières se constituent à l’exemple de celles de Messieurs Ragon, Régnault, Mallet, Gallois, Jeanneney… La plus importante collection est sans nul doute celle d’Henri Delimoges, régisseur des propriétés du duc de Mortemart. Son statut de notable lui a permis d’entrer en contact avec tous les propriétaires et exploitants agricoles d’Entrains, de suivre tous les grands travaux d’aménagement et d’acheter ainsi une grande partie des découvertes archéologiques réalisées durant cette période. Mais en 1910, la vente de la collection entraîna sa dispersion et même la disparition d’une partie des objets. Cependant, le Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain a pu obtenir des reliefs mithriaques. Mais l’essentiel de la collection est dispersé entre particuliers, antiquaires ou collectionneurs dont tous ne sont pas connus. Quelques objets, découverts au XIXe siècle (sculptures de divinités assises, stèles funéraires, éléments architecturaux…) sont aujourd’hui conservés et exposés à la Maison des Fouilles d’Entrains-sur-Nohain.

Le Chantier Chambault (1966-1972)

C’est donc en 1966 que s’ouvre le premier chantier de fouille archéologique scientifique à Entrains le long de la voie romaine menant à Auxerre sur un terrain de la scierie Chambault. Ce chantier est motivé par la découverte quelques années auparavant, en 1961, de structures (murs, puits…) lors de la construction d’une maison individuelle, et d’un trésor de 4000 monnaies d’une frappe régionale (268-273) en 1962. Ces trouvailles ainsi que la réputation archéologique d’Entrains attirent l’attention de la Direction Régionale des Antiquités Historiques de Bourgogne en la personne de Jean-Bernard Devauges. L’autorisation d’entreprendre des fouilles le long de la voie romaine est alors donnée en 1966. J.-B. Devauges en fut le responsable jusqu’en 1972.

 

Les fouilles archéologiques, alors appelées « chantier Chambault », ont mis au jour trois habitats, correspondant à la phase tardive de l’occupation (IIe-IVe siècles) de l’agglomération d’Intaranum. Ils sont séparés les uns des autres par un ambitus (petit espace entre deux murs de propriétés différentes, évitant les problèmes de mitoyenneté). Leur implantation s’organise au carrefour d’une rue et de la voie romaine reliant Entrains à Auxerre. Le mode architectural adopté, divise en trois secteurs ces habitats selon un schéma désormais bien connu dans les agglomérations gallo-romaines. La façade donne sur la voie principale par une galerie couverte. Le corps principal du logis où s’articule la vie domestique et artisanale donne sur une arrière-cour où se trouvent des fosses d’aisances. Chacune des unités d’habitations dispose d’une cave où de nombreux fragments de sculptures attestent de cultes domestiques. La métallurgie du fer est l’activité artisanale prédominante au sein de ces trois unités. Les outils et les rejets de fabrication, présentés à la Maison des Fouilles, en sont une des principales preuves.

La scierie Tissier (1982-1987)

En 1982 s’ouvre un deuxième chantier de fouille à Entrains, dans les quartiers est de la ville, avant l’aménagement d’un lotissement. Ce chantier correspond à une fouille de sauvetage, réalisée sur l’ancienne scierie Tissier par Béatrice Bonnamour, de 1982 à 1987. Le secteur était déjà connu depuis le début du XXe siècle pour son potentiel archéologique. Les aménagements liés à l’installation de la scierie avaient livré quantité de sculptures, de fragments architecturaux ou encore une inscription à Mars.

 

Les structures dégagées à partir de 1982 s’organisent donc de part et d’autre d’une rue orientée est-ouest. Au sud de celle-ci a pu être identifiée une galerie bordant une série de boutiques. Ce quartier se compose d’au moins six habitats, avec trois caves et trois hypocaustes (chauffage par le sol). Cet ensemble subit plusieurs phases de remaniements entre le Ier et le IIIe siècle ap. J.-C. Plus au sud, une zone partiellement fouillée en 1986-1987 a révélé un vaste bâtiment (28 x 6 m) s’apparentant à un sanctuaire. Le puits situé dans la cour centrale a notamment livré une dédicace à Ucuetis, dieu des forgerons, et de nombreux fragments d’architecture et de sculpture, présentés à la Maison des Fouilles d’Entrains.

Le sanctuaire de Ménestreau

(1990-1994)

Au début des années 1990, les recherches vont se déplacer sur la commune de Ménestreau, sur un site à environ 3 km du bourg actuel d’Entrains. Au cours des années 1970, un agriculteur, L. Gaëtan, a signalé à J. Meissonnier la présence de vestiges gallo-romains dans une parcelle qu’il cultivait. En 1982, le survol en avion de cette zone a permis la découverte d’un temple de tradition celtique (fanum). A la fin de l’été 1989, un labour plus profond a exhumé des fragments de sculptures. Des fouilles archéologiques de sauvetage furent donc organisées de 1990 à 1994 sous la direction de Michel Bonneau.

 

Le site semble avoir été occupé dès la période Néolithique, ainsi qu’à la Protohistoire. De cette période, sont alors visibles une centaine de trous de poteaux et une dizaine de fosses, creusés dans le calcaire naturel et regroupés selon des alignements remarquables sensiblement parallèles. A cette occupation gauloise succède une occupation cultuelle gallo-romaine du Ier à la fin du IVe siècle de notre ère. Plusieurs phases d’aménagements et de reconstructions ont ainsi été identifiées. Au IIIe siècle, le sanctuaire se composait d’un grand temple fait d’une cella entourée d’une galerie établie sur podium. Cette galerie était constituée de baies à arcades portées par des piliers, ornés de rinceaux de feuillage, surmontés de chapiteaux fleuris qui soutenaient un entablement corinthien. Des bâtiments annexes et un puits complétaient l’ensemble.

 

La fouille a montré que la divinité principale était Grinovantis, un Apollon local, mais que le temple a aussi accueilli Mars, Epona, Hercule et d’autres divinités locales. Le site de Ménestreau a livré de nombreuses offrandes laissant apparaître les intentions des dévots : pèlerins sculptés portant des offrandes, nourrissons emmaillotés, main votive, ex-voto anatomique en bronze, fibules, bijoux, monnaies… présentés à la Maison des Fouilles d’Entrains.

L'archéologie préventive

(2008-2015)

Depuis le début des années 2000, la législation concernant les fouilles archéologiques dite de sauvetage a changé. Désormais, ces opérations archéologiques deviennent préventives. Elles sont ainsi réalisées en amont de chaque construction susceptible d’impacter le patrimoine archéologique d’une parcelle

À Entrains, il faut attendre 2008 pour voir la réalisation d’une nouvelle fouille archéologique au n° 9 Voie romaine, sous la direction de N. Tisserand, de l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (Inrap). Les recherches ont mis au jour une portion d’ilôt d’habitation et d’artisanat se développant le long de la voie romaine menant à Auxerre et centré sur une cour intérieure avec puits et fosses d’aisances. L’organisation est sensiblement la même que sur le chantier Chambault, situé sur le même axe, à une centaine de mètres plus au sud.

En 2013, c’est l’extrémité nord de l’agglomération, toujours le long de la voie romaine d’Auxerre, qui est concernée par une fouille archéologique préventive. Une fouille dirigée par St. Venault (Inrap) a été réalisée sur trois parcelles antiques contiguës, dont les niveaux de forges étaient bien conservés. Les maisons présentaient une galerie et une boutique en façade ainsi qu’une cave donnant sur la rue.

Enfin, en 2014-2015, une dernière fouille préventive est engagée au n° 14 de la route d’Etais sur une parcelle voisine de la fouille de 2011-2012. Cette opération, dirigée également par St. Venault (Inrap), a mis au jour de nouvelles habitations situées au sud de la rue secondaire et de la voie d’Auxerre ainsi que les niveaux de forges qui les ont précédés.

Durant l’hiver 2011-2012, s’ouvre 130 m au sud du chantier précédent une autre fouille préventive dirigée par Gh. Vincent (Inrap). La parcelle a révélé l’existence d’une rue secondaire connectée à la voie romaine d’Auxerre au croisement desquelles se distribue une série d’ateliers de forgerons dès le début du Ier siècle de notre ère. Au IIe siècle, le quartier change complètement de physionomie avec l’installation de maisons et d’un sanctuaire de carrefour avec petite place publique.

Situation géographique
Des découverts anciennes
Chantier Chambault
Scierie Tissier
Sanctuaire Ménestreau
Fouilles préventives
Agglo Entrains

L'agglomération gallo-romaine

d'Entrains

Les différentes fouilles et sondages archéologiques, les découvertes anciennes, les observations de travaux d’urbanisme ainsi que les prospections aériennes et pédestres permettent de mieux circonscrire l’agglomération antique et de retracer son évolution. Malgré la découverte de quelques céramiques gauloises et d’une structure isolée, il semblerait que l’agglomération voit le jour à la période augustéenne, entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et le début du Ier siècle ap. J.-C. Les fouilles ont montré une prédominance de l’artisanat du fer jusqu’au milieu du IIe siècle. Ce développement s’explique par la situation de carrefour de l’agglomération et sa localisation entre les gisements de fer de Puisaye et du Vézelien. Une certaine organisation des activités de forge est perceptible au sein des ateliers fouillés. Ces derniers connaissent plusieurs phases de construction et de réorganisation. Il est possible d’identifier des productions intensives et développées. Certains ateliers semblent par exemple se spécialiser dans le traitement d’une matière première brute et d’autres dans l’élaboration finale d’objets. Néanmoins, il n’est pas toujours possible de déterminer avec précision la nature des objets fabriqués.

Vers le milieu du IIe siècle, on assiste dans certains quartiers à un vaste plan d’urbanisme faisant disparaître les ateliers de forgerons au profit de bâtiments à fonction résidentielle et commerciale édifiés cette fois en pierre. Les activités artisanales métallurgiques doivent dès lors être déplacées vers un endroit intra ou extra-muros encore inconnu. De nouvelles activités succèdent à la métallurgie telles que des auberges. L’essor économique de la ville perdure tout au long du IIIe siècle, comme en témoigne par exemple le développement de vastes domus qui s’illustrent par leurs équipements balnéaires et leurs riches décors de peintures et de stucs.

 

L’agglomération est circonscrite par au moins deux nécropoles connues. Celle implantée à l’extrémité occidentale d’Intaranum, le long de la voie Autun-Orléans, est à ce jour la mieux documentée et reconnue grâce à la découverte de quelques stèles funéraires aux XIXe-XXe siècles conservés au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye ou encore à la Maison des Fouilles d’Entrains-sur-Nohain. Une seconde nécropole pourrait être implantée à l’extrémité orientale de l’agglomération, vers le parc du château de Réveillon. La découverte ancienne de stèles dans le secteur et le toponyme du lieu-dit évoquant la croyance en une vie dans l’au-delà sont de forts indices pour y localiser une nécropole antique.

 

Au moins une dizaine de temples existaient également, dont quatre en périphérie de l’agglomération. Ils sont connus de différentes manières, par photographie aérienne, par fouille ou par sondage. L’un d’entre eux est supposé à l’ouest en raison de la découverte d’une statue monumentale d’Apollon assis. Seul celui de Ménestreau, localisé au sud, a fait l’objet d’une fouille intégrale. Il est dédié à Apollon Grinovantis (cf supra). Le plan le plus spectaculaire a été découvert par R. Goguey en prospection aérienne en 1976. Il s’agit d’un temple à cella circulaire d’un diamètre de 13 m au centre d’une cour péristyle d’une largeur totale de 52 par 47 m. A l’est, c’est un temple à Ucuetis qui a été mis au jour dans la scierie Tissier. Outre ces lieux de cultes attestés, les sculptures et les inscriptions de dédicace attestent la présence d’un culte à Jupiter, Epona, Mercure, Borvo, Hercule, Mars, Bacchus… La parure monumentale de l’agglomération est complétée à l’est par un théâtre découvert en prospection aérienne par R. Goguey en 1974 et vérifié par quelques sondages. Durant l’Antiquité, les théâtres jouent un rôle important dans les cérémonies religieuses. Avec un diamètre de 115 m et une superficie de près d’un hectare, le théâtre d’Entrains figure dans la quinzaine des plus grands théâtres antiques de Gaule. Un tel édifice souligne, une fois de plus, l’importance de l’agglomération antique et de son rôle religieux.

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Pour davantage de lectures...

  • Bigeard 1996 : BIGEARD (H.) - Carte Archéologique de la Gaule : Nièvre/58, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1996, p. 136-169.

  • Devauges 1988 : DEVAUGES (J.-B.) - Entrains gallo-romain, GRADE, Saint-Herblain, 1988, 382 p.

  • Gaëtan 2011 : GAËTAN (L.) - L'agglomération secondaire gallo-romaine d'Entrains-sur-Nohain (Nièvre) : évolution et organisation, Mémoire de Master 2, Université de Bourgogne, Dijon, 2011, 129 p.

  • Meissonnier 1980 : MEISSONNIER (J.) - Le théâtre gallo-romain d'Entrains, fouilles de 1977 à 1979, Annales des Pays Nivernais, t. 27-28, 1980, p. 12-16.

  • Meissonnier 1984 : MEISSONNIER (J.) - L'urbanisation de la vallée du Nohain à Entrains à l'époque gallo-romaine, Annales des Pays Nivernais, t. 40-41, 1984, p. 30-31.

  • Meissonnier 2011 : MEISSONNIER (J.) - Culte domestique et culte public à Entrains-sur-Nohain. In : Mercure et Cie. Culte et religion dans une maison romaine, Conseil Général de Moselle, 2011, p. 56-61.

  • Meissonnier 2013 : MEISSONNIER (J.) - Religion privée et religion publique dans l'agglomération gallo-romaine secondaire d'Entrains-sur-Nohain (Nièvre), Dialogues d'Histoire Ancienne, t. 39, n° 2, 2013, p. 33-47.

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